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La vie fonctionne par cycles. La mienne ne déroge pas à cette règle. Ces cycles ont forgé ma façon d’être au monde, mon rapport au plateau et au théâtre.

En quelques mots

Je me suis toujours sentie différente, « à côté ».
De ce jour en CP où je me suis évertuée à écrire de la main droite, moi qui étais gauchère. Pour être comme tout le monde. Ce monde qui me renvoyait cette image de gaucherie, de maladresse.

Le monde et moi. Ce petit moi qui voulait tant se fondre dans la masse, être accepté. Mais différence, toujours.

Avec un papa plus âgé, qu’on confondait avec un grand-père. Homme rugueux, tout d’un bloc, aux valeurs simples et ancrées de paysan du Berry, devenu par son travail, son amour des hommes, ses qualités de meneur, un « chef » d’une grosse entreprise de BTP. Un père absent les douze premières années de ma vie, et si présent après. Et une mère expansive, feu follet, née en Algérie, de douze ans sa cadette, petite princesse jolie et si intelligente qu’elle a sans doute beaucoup souffert, beaucoup encaissé, dans l’ombre de mon père. Sans se livrer.

Riche de ces différences, à creuser la singularité de cette histoire entre Berry et Algérie, où l’amour ne se disait pas et où le geste même ébauché, suffisait. Voilà pour le cycle de mon enfance.

De cette histoire de famille, des hommes et femmes qui la constituent et hantent encore la maison, la forge du grand-père, le jardin familial, me vient cette passion de creuser l’intime, de partir des fêlures des êtres pour expliquer le monde. Partir de l’infiniment petit pour tenter d’éclairer l’infiniment grand. Au théâtre, il y eut le temps de l’Arcade.
Une belle aventure collective avec Vincent, Sophie, Anne et Virginie. Nous étions et sommes encore ( !) deux metteurs en scène, reliés par une recherche commune autour de la notion d’identité, de la construction de l’individu. Ce temps fut pour moi celui de « la voix des femmes ».

Où ce qui m’importait était de donner à entendre des textes contemporains où la parole des femmes se cherche, se heurte et tente de dire. Un verbe inquiet, en conflit, insatisfait. Il y eut Instants de femmes de Brigitte Athéa, Au-delà du voile de Slimane Benaïssa, La Fausse suivante de Marivaux, et des chantiers de création autour de textes d’auteurs algériens, autour du désir au féminin.
Puis est venu Automne et Hiver de Lars Norèn.
La parole s’y déverse d’abord par la mère. La parole est conflit. Et la transmission est bloquée.
Je suis née avec Automne et Hiver. J’ai grandi avec Le Jardinier de Mike Kenny. Une parole d’homme.
Plus sereine, plus apaisée.
Avec le recul, Le Jardinier m’apparaît comme la clôture du cycle Arcade et l’ouverture d’un nouveau cycle, celui de l’Esprit de la Forge.
Le cycle Arcade fut le cycle de la parole des femmes.
Le cycle Esprit de la Forge ouvre celui des transmissions.
Transmissions multiples mais qui mettent au centre de la réflexion notre rapport à autrui.

Agnès Renaud