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Une pièce sur les transmissions familiales brisées.

L’album de famille

Sous le régime franquiste, une famille nombreuse déménage. Elle doit partir, prendre le train. Mais tout le monde tourne en rond. Le père a perdu les billets…

Cette histoire, c’est José Luis, le fils de la famille qui nous la raconte. Fils devenu grand, mais qui, pour la raconter garde ses yeux d’enfant.

L’Album de famille est un voyage initiatique, la vision cauchemardesque d’un homme qui tente de se réapproprier ses souvenirs d’enfance. Une pièce sur les transmissions familiales brisées, les deuils non faits et pourtant nécessaires pour grandir. La difficulté pour l’enfant de se construire face à des pères, des oncles bref toute une génération d’hommes noyés par la guerre des franquistes et des républicains. Le narrateur, convoquant sur le plateau les fantômes de son enfance, se livre à une expérience angoissante, quasi métaphysique mais non dénuée d’humour ; faire le tri entre les vivants et les morts, et, reconstituant la trame, renouant les fils, il effectue le travail de séparation nécessaire à son propre développement.

La fabrique

Le texte oscille entre des espaces temps différents, porté par un personnage aux prises avec sa mémoire : Qu’est-ce que la mémoire ? Comment s’élabore-t-elle ? Est-elle un flux de sensations, une perception objective ? Quelle relation entretient-elle au temps ? En croisant différents langages scéniques (jeu, projections vidéo, théâtre de papier, spatialisation du son,…), nous tentons d’élaborer un langage propre pouvant rendre compte du matériau complexe qu’est L’Album de famille.

Extrait

Le tunnel est très long, interminable. Ma mère se met à côté de moi. Elle a un album dans ses mains.

Ma mère – Quand on sera sortis du tunnel, tu nous prendras une photo et je la mettrai dans I’ album, entre ces feuilles de papier de soie transparentes et flétries qui nous séparent les uns des autres afin qu’on ne se touche pas. En premier il y a les photos de mes grands-parents, de mes parents, de mes frères et sœurs et aussi de parents plus éloignés… Après, c’est la famille de votre père. Et puis après c’est des photos de vous. Voilà celle de quand on était tous ensemble et qu’on faisait ce voyage… Il y a tous les mariages, les communions, les baptêmes. Des photos jaunies et tristes d’au revoir, de choses qui sont mortes à I’ intérieur du carton. Moi, je suis sur beaucoup de photos. Quand je me vois moi-même, c’est comme si je voyais un parent. Là c’est moi toute petite, comme toi maintenant, à côté de ma mère. Bien que ce soit moi la petite fille sur cette photo, je ressemble plus à la mère, à ma mère. En fait j’ai toujours été la mère. Là c’est notre saint oncle, avec son aube immaculée de dominicain repassée de près, appuyé contre son prie-Dieu, toujours avec son sourire… Regarde bien. De toute façon je savais ce qui allait se passer. Si je regarde attentivement chacune des photos, si j’observe bien les visages, nos visages à nous, je vois derrière le sourire de la photo qu’on sait tous précisément ce qui va nous arriver.

Moi – Maman…

Ma mère – Mon chéri…

On est sortis du tunnel. Ma mère regroupe la famille pour prendre une photo.

Ma mère – Mettez-vous ensemble. José Luis va nous prendre une photo souvenir, pour quand il sera parti.

Moi – Pour quand je serai parti ?